La méthode Coué

Publié le par Pierre

 C’est un destin paradoxal que celui de la méthode Coué. D’un côté, elle est devenue dans le langage courant un synonyme d’«autopersuasion vouée à l’échec», employé de manière dépréciative, par exemple pour critiquer des choix politiques désespérés dont on pense qu’ils ne mèneront à rien. De l’autre, on la voit régulièrement citée, dans les médias ou sur des sites Internet spécialisés dans la santé, qui vantent ses mérites pour le «développement personnel» sous le nom de «pensée positive». Vu que le premier emploi est devenu plus courant que le second, peut-être est-il donc utile de rappeler, pour commencer, que la méthode Coué est bien d’origine médicale. Elle a été élaborée au début du XXe siècle par le pharmacien français Emile Coué (1857-1926), qui en a résumé les principes dans une conférence intitulée «la maîtrise de soi-même par l’autosuggestion consciente». A en croire une édition imprimée de cette conférence datée de 1922, Coué a commencé dès 1912 à présenter ses techniques dans la France entière, puis dans plusieurs pays d’Europe. Dans ce texte qui n’a depuis cessé d’être réédité (et qu’on peut lire ici), il défend le principe de l’autosuggestion, qui «n’est autre chose que l’hypnotisme tel que je le comprends et que je le définis par ces simples mots : influence de l’imagination sur l’être moral et l’être physique de l’homme». Il propose donc aux professionnels de santé des techniques pour appliquer sa méthode sur des malades. Et ajoute qu’il est possible de pratiquer soi-même l’autosuggestion consciente, comme suit : «Tous les matins au réveil, et tous les soirs, aussitôt au lit, fermer les yeux et, sans chercher à fixer son attention sur ce que l’on dit, prononcer avec les lèvres, assez haut pour entendre ses propres paroles et en comptant sur une ficelle munie de vingt nœuds, la phrase suivante : "Tous les jours, à tous points de vue, je vais de mieux en mieux."» Cette dernière phrase demeurera fameuse. Il précise tout de même plus loin : «La pratique de l’autosuggestion ne remplace pas un traitement médical, mais c’est une aide précieuse pour le malade comme pour le médecin.» Il s’agit en somme, explique l’historien Hervé Guillemain, auteur du livrela Méthode Coué (paru en 2010 au Seuil), d’une «thérapie gratuite pour les temps de crise». «Il n’est pas étonnant que la méthode commence à être médiatisée dans le dur de la Première Guerre mondiale, puis pendant la crise des années 30. Et il n’est pas étonnant qu’elle disparaisse après la Seconde Guerre mondiale.» Mais près d’un siècle plus tard, la méthode Coué a toujours ses adeptes, qui organisent même des congrès pour la défendre et en discuter. Le deuxième se tiendra début novembre. Se faisant l’écho du premier de ces congrès en 2011, le Figaro relevait que la méthode «ne serait que peu utilisée en France». Mais titrait (d’une manière toute couéienne ?) sur son «retour en grâce». L’organisateur du congrès et animateur du site methodecoue.com, Luc Teyssier d’Orfeuil, déplorait à cette occasion que le nom de Coué, «passé dans le langage courant, est souvent utilisé dans un contexte négatif, pour décrire un dernier recours dérisoire». Dans plusieurs textes et vidéos (comme celle-ci) disponibles en ligne, il défend l’efficacité de la méthode, qui a plusieurs postulats dont celui-ci : «Toute pensée que nous avons en tête devient réalité dans la limite du raisonnable.» Il est vrai tout de même que la méthode Coué revient de loin. Outre qu’elle n’avait plus vraiment de raison d’être pendant les Trente Glorieuses, elle n’a pas vraiment fait le poids face à la psychanalyse, avec laquelle elle fut confondue à leurs débuts. «Les deux viennent à l’origine du même monde, celui de l’hypnose de la fin du XIXe siècle, rappelle Hervé Guillemain. A partir de ça, Freud fait rupture avec le monde de l’hypnose et crée sa propre pratique vers 1895-1900. Coué, lui, propose que ce soit le patient lui-même qui apprenne à se guérir avec des exercices d’autohypnose. Donc il ne rompt pas complètement avec l’hypnose mais, sachant qu’elle est considérée comme autoritaire, il fait un tour de passe-passe qui redonne le pouvoir au patient.» En somme, même si tous les deux considèrent l’inconscient comme «tout-puissant», leurs conceptions divergent (1) : «Chez Freud, l’inconscient parle ; chez Coué, il ne faut surtout pas qu’il parle.» Pour Guillemain, la méthode Coué est par conséquent «une pensée très conservatrice». 

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